Il y avait dans une maison délabrée une vieille dame si discrète que ses voisins en avaient perdu même le souvenir. (...) Eux, par contre, étaient l'objet de toute son attention silencieuse et l'aliment de sa prière. La perte successive, et désormais lointaine, de tous ses proches avait creusé en elle un douloureux vide affectif qui, au lieu de lui recroqueviller l'âme, l'avait incitée à élargir son cœur. Chaque matin et soir, lentement et avec difficulté, elle se rendait dans une église, elle aussi oubliée, pour s'asseoir face à l'autel où trônait une Vierge de plâtre aux couleurs défraîchies et au nez ébréché. Là, elle priait avec Marie "vieille", avec Marie après que Jésus s'en fut définitivement retourné au ciel et que les apôtres se soient dispersés pour évangéliser le monde. (...) La vieille dame se sentait moins en affinité avec la Vierge de l'Annonciation ou la Mère des douleurs au pied de la Croix qu'avec Marie "vieille" : quoique la Vierge de l'Annonciation et la Mère douloureuse ait eut à vivre et à souffrir, elle n'avait pas encore été totalement délaissée. Bien sûr il y avait eu le cri de Jésus sur la croix lorsqu'il s'était senti totalement abandonné par son Père. Mais cette souffrance d'abandon était si mystérieuse, si intense, si immense, qu'il fallait à la vieille dame une souffrance intermédiaire plus proportionnée à la sienne pour ne pas s'effrayer de celle de Jésus et l'accepter. C'est pourquoi elle venait prier avec Marie "vieille". Et Marie "vieille" l'écoutait, l'accompagnant dans la prière. Elle priait avec la vieille dame, pour ses voisins et son quartier, comme elle avait prié au temps de la première Église, devançant le pas des apôtres en chaque contrée afin que l'Esprit-Saint y adoucisse les cœurs, les rendant ainsi réceptifs à l'annonce prochaine de l'Évangile. Ainsi les drames qui alentour s'achevaient en égoïsmes, en haines et en guerres, fleurissaient ici en regrets, pardons et réconciliations.