Au block 24, le bon Georges Surowy avait devancé l'heure. Il venait me secouer sur ma paillasse pour s'assurer que je ne manquerais pas le rendez-vous quotidien, auquel il avait deviné que j'étais attaché. L'idée de ressembler ainsi au trappiste réveillé pour chanter matines apportait une fantaisie dans l'automatique déroulement du règlement quotidien. Et la pensée que le frère carillonneur était ce rouge du "Frente popolar" ajoutait du pittoresque à la chose. Dans la chapelle, serrés debout les uns contre les autres, les cinq ou six cents prêtres suivaient silencieusement les prières du célébrant. L'organisation avait réalisé là d'étonnantes performances : la couleur liturgique par exemple, celle qui donne sa tonalité au jour qui s'annonce, était rigoureusement observée. L'office se déroulait dans un profond recueillement. Nous n'étions plus perdu dans une lointaine planète. Nous participions à la vie d'une Église, de l'Église... Différentes confessions se partageaient le block 26 et la chapelle. Le clergé catholique était le plus nombreux, mais il y avait aussi beaucoup de pasteurs de la religion réformée, un certain nombre de prêtres orthodoxes venus pour la plupart de Yougoslavie ou de Roumanie et même, un marabout d'Albanie. Une statue de la Vierge, avec l'accord de tous, fut disposée à droite de l'autel au cours du dernier hiver. Elle était l'œuvre d'un déporté qui avait mis très longtemps à l'achever, au prix de difficultés que nous n'avions aucune peine à imaginer. Taillée dans un bois de couleur claire, stylisée, elle pouvait figurer aussi bien l'Étoile du Matin que le Salut des Infirmes, la Consolatrice des Affligés que la Reine des Martyrs. Tout le monde se mit d'accord pour l'appeler Notre-Dame de Dachau. Ce nom disait tout à la fois.