Un dimanche, pendant la neuvaine (Le dimanche de Pentecôte 1883), Marie sortit dans le jardin, me laissant avec Léonie qui lisait près de la fenêtre. Au bout de quelques minutes, je me mis à appeler presque tout bas : « Marie ! Marie! » Léonie étant habituée à m'entendre toujours gémir ainsi n'y fit pas attention ; alors je criai bien haut et Marie revint à moi. Je la vis parfaitement entrer ; mais hélas ! pour la première fois, je ne la reconnus pas. Je cherchais tout autour de moi, je plongeais dans le jardin un regard anxieux, et je recommençais à appeler : « Marie ! Marie ! » C'était une souffrance indicible que cette lutte forcée, inexplicable, et Marie souffrait peut-être plus encore que sa pauvre Thérèse! Enfin, après de vains efforts pour se faire reconnaître, elle se tourna vers Léonie, lui dit un mot tout bas, et disparut pâle et tremblante. Ma petite Léonie me porta bientôt près de la fenêtre ; alors je vis dans le jardin, sans la reconnaître encore, Marie, qui marchait doucement, me tendant les bras, me souriant, et m'appelant de sa voix la plus tendre : « Thérèse, ma petite Thérèse ! » Cette dernière tentative n'ayant pas réussi davantage, ma soeur chérie s'agenouilla en pleurant au pied de mon lit, et, se tournant vers la Vierge bénie, elle l'implora avec la ferveur d'une mère qui demande, qui veut la vie de son enfant. Léonie et Céline l'imitèrent, et ce fut un cri de foi qui força la porte du ciel. Ne trouvant aucun secours sur la terre et près de mourir de douleur, je m'étais aussi tournée vers ma Mère du ciel, la priant de tout mon coeur d'avoir enfin pitié de moi. Tout à coup la statue s'anima ! la Vierge Marie devint belle, si belle, que jamais je ne trouverai d'expression pour rendre cette beauté divine. Son visage respirait une douceur, une bonté, une tendresse ineffable; mais, ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme, ce fut son ravissant sourire! Alors toutes mes peines s'évanouirent, deux grosses larmes jaillirent de mes paupières et coulèrent silencieusement... Ah ! c'étaient des larmes d'une joie céleste et sans mélange ! La sainte Vierge s'est avancée vers moi! elle m'a souri... que je suis heureuse! pensai-je; mais je ne le dirai à personne, car mon bonheur disparaîtrait. Puis, sans aucun effort, je baissai les yeux, et je reconnus ma chère Marie! elle me regardait avec amour, semblait très émue, et paraissait se douter de la grande faveur que je venais de recevoir. Ah ! c'était bien à elle, à sa prière touchante, que je devais cette grâce inexprimable du sourire de la sainte Vierge ! En voyant mon regard fixé sur la statue, elle s'était dit : « Thérèse est guérie ! » Oui, la petite fleur allait renaître à la vie, un rayon lumineux de son doux soleil l'avait réchauffée et délivrée pour toujours de son cruel ennemi ! « Le sombre hiver venait de finir, les pluies avaient cessé (1) », et la fleur de la Vierge Marie se fortifia de telle sorte que, cinq ans après, elle s'épanouissait sur la montagne fertile du Carmel.